Friedrich Wolfzettel/Frank Estelmann:

Répertoire du récit de voyage en Égypte de langue française au XIXe siècle

Moncalieri: Centro Interuniversitario di Ricerche sul ‘Viaggio in Italia’ 2003.

(quatrième de couverture:)

Un des tableaux les plus célèbres relatifs à l’égyptomanie du XIXe siècle, le Questioner of the Sphinx (1863), d’Eliha Vedder, semble s’interroger sur le sens et le but de cet intérêt millénaire que l’Occident avait porté à l’Égypte. On y voit un homme pauvrement vêtu accroupi près des lèvres du Sphinx à moitié enseveli sous le sable du désert; l’homme semble écouter les paroles ou plutôt le silence du colosse, pendant que, près d’une colonne délabrée, un crâne rappelle la triste destinée de son prédécesseur.

Tout se passe comme si tout le XIXe siècle s’était posé de manière particulièrement intense la question symbolisée dans ce tableau: À quoi bon continuer à écrire sur l’Égypte et à chercher dans ses ruines le sens de l’existence humaine, de la religion, de la société et de la civilisation? Et les questions posées au Sphinx ne retombent-t-elles pas sur celui qui les a formulées? Et le Sphinx sait-il quelque chose que nous ignorions? Mais de telles questions sont peut-être tout simplement dénuées de sens? Quasiment aucun récit de voyage du XIXe siècle n’a su contourner ces éternelles questions – indépendamment de l’importance qu’y attache le voyageur; ces grandes questions ressortissant à l’« imaginaire égyptisant » font partie intégrante des « grandes narrations » sur l’origine et le progrès de la civilisation moderne de tous les temps. Cependant, à la différence d’époques antérieures, les voyageurs dans cette Égypte du XIXe siècle jouissent du privilège de pouvoir poser ces questions sur le lieu même et de pouvoir y chercher des réponses personnelles.

Ce qui frappe au XIXe siècle, c’est un contraste tout nouveau qui commence à s’instaurer entre l’imaginaire égyptisant traditionnel et la réalité du progrès telle qu’elle se manifeste aux visiteurs non prévenus du pays.  Car il ne faut pas oublier que l’Égypte a été parmi les premiers pays de l’Orient à s’ouvrir au progrès moderne. À part l’industrialisation rapide, c’est le tourisme même qui indique ce changement, de sorte que l’aperception du pays est de plus en plus marquée par la dichotomie entre les vestiges d’une civilisation archaïque et les signes tangibles de l’ère moderne. D’un côté, l’Égypte représente un pays barbare répugnant à la civilisation européenne du progrès; elle montre des restes du despotisme oriental face aux constitutions libérales européennes; elle apparaît comme le pays du soleil ‹ brûlant ›, des paysages arides du Nil et des mœurs archaïques, comme le pays des sphinx, des pyramides, des obélisques et des temples. Il est évident, d’autre part, face aux témoignages indéniables du progrès, que cet aspect archaïque même conserve le charme du mythe millénaire d’une sagesse toujours à redécouvrir. L’Égypte représente ainsi l’image fascinante des contradictions de l’imaginaire européen.

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